CHAPITRE III - Mario

 

 

Claude avait à peine fait sa sortie tapageuse que Paule entrait, les mains dans les poches de son pantalon de toile.

« Bonjour, Paulette, dit Michel.

— Elles vous ont dit? s'écria Paule. Et moi qui étais si contente que vous me preniez pour un garçon!

— Tu as même pris soin de porter une chemisette qui se boutonne à droite! dit Annie qui remarquait ce détail pour la première fois. Tu es ridicule, Paulette. Claude et toi, vous faites bien la paire !

— Claude ressemble moins à un garçon que moi, dit Paulette.

— Seulement parce qu'elle a les cheveux bouclés, reprit Michel.

— Ne dis pas cela devant elle! s'écria Annie. Elle se ferait passer la tête à la tondeuse.

— En tout cas, Paule a été très chic de venir à notre rencontre, dit Michel. Pouvons-nous finir les biscuits ou est-il plus poli d'en laisser?

— La politesse, c'est pour la ville. Nous ne faisons pas beaucoup de manières ici, répondit Paule en riant. Mais Mme Girard ne veut pas que nous nous mettions à table le soir en pantalon ou en short. Il faut faire toilette, ce qui est bien ennuyeux.

— Qu'est-ce que vous avez à nous offrir comme aventure? demanda François en achevant sa limonade.

— Rien, absolument rien, répondit Annie. Dans nos promenades à cheval, c'est à peine si nous rencontrons un chat. La ferme est très isolée et la seule chose qui sorte un peu de l'ordinaire, c'est le nom de la grande lande qui s'étend jusqu'à la mer. On l'appelle la Lande du Mystère.

— Pourquoi? demanda Michel. Il s'y est passé des événements sensationnels dans le temps jadis?

— Je ne sais pas, répliqua Annie. Il n'y a plus que les gitans qui y vont. Un petit bohémien est venu hier amener un cheval boiteux et il nous a dit que sa famille devait se rendre à la Lande du Mystère. Pourquoi vont-ils dans un tel désert, je l’ignore. Il n'y a pas de ferme là-bas, pas même une chaumière.

— Les gitans ont des idées étranges, remarqua Paule. Ce qui me plaît, ce sont les messages qu'ils laissent derrière eux pour ceux qui les suivent… ça s'appelle des signes de piste.

— Des signes de piste? répéta Michel. J'en ai entendu parler. De menus branchages et des feuilles qui, disposés d'une certaine façon, ont une signification. C'est cela, n'est-ce pas?

— Oui, répondit Paule. Notre jardinier, à la maison, m'a montré des brindilles placées devant notre porte; il m'a expliqué que c'était un message pour les bohémiens qui viendraient à passer par là. Il me l'a même traduit.

— Quel en était le sens? demanda François.

— « Inutile de mendier ici. Gens avares qui ne « donnent rien! » répondit Paule en riant. C'est ce que m'a dit le jardinier.

— Nous pourrions interroger le petit gitan qui est venu hier amener le cheval boiteux, dit Annie Il nous apprendrait le secret de ces messages. Cela peut être utile, on ne sait jamais.

— Oui, et nous lui demanderons aussi ce que les gitans vont faire à la Lande du Mystère », dit François qui se levait en époussetant sa veste pleine de miettes de biscuit. « Ils ne vont pas là-bas pour rien, c'est sûr.

— Où est passée Claude? demanda Mick. J'espère qu'elle ne va pas continuer à bouder. »

Dans une écurie, Claude pansait un cheval qui n'avait jamais été étrillé si vigoureusement. Elle s'efforçait de se calmer et s'exhortait à ne pas gâcher les vacances des garçons et d'Annie. Mais cette peste de Paulette la mettait hors d'elle. Quel toupet d'aller à la rencontre de François et de Mick et de se faire passer pour un garçon! Et eux, les idiots, qui étaient tombés dans le panneau!

« Oh! te voilà, Claude, ma vieille, s'écria Michel à la porte de l'écurie. Laisse-moi t'aider. Cristi ! que tu as bruni! Et tu as plus de taches de rousseur que jamais. »

Claude eut un sourire involontaire et jeta la brosse à Michel.

« Voilà! Il y a beaucoup de chevaux ici, vous pourrez vous promener, François et toi.

— Oui. répondit Michel, satisfait de retrouver la Claude des bons jours. Si nous partions demain matin, en emportant notre déjeuner? Qu'en dis-tu? Nous pourrions explorer la Lande du Mystère.

— Entendu, répondit Claude qui étalait de la paille sur le sol. Mais pas avec cette fille!

— Quelle fille? demanda Michel en toute innocence. Ah! Paulette? J'ai toujours l'impression que c'est un garçon… Non, elle ne viendra pas. Nous serons tous les cinq comme d’habitude.

— Ce sera épatant. Oh! voici François. Tu nous aides, François? »

Quelle joie d'être de nouveau avec les deux garçons, de rire à gorge déployée, d'échanger des plaisanteries et des taquineries! L'après-midi, les Cinq se promenèrent dans les prés. Les garçons racontèrent leur vie au camp. Ils retrouvaient leur bonne camaraderie et Dagobert n'était pas le moins content. Il courait de l'un à l'autre, la langue pendante et la queue frétillante.

« C'est la troisième fois que tu me donnes un coup de queue en pleine figure, Dagobert! s'écria Michel allongé dans l'herbe. Tu pourrais faire attention.

— Ouah! Ouah! » répondit Dagobert; il se retourna vers Michel et cette fois ce fut François qu'il souffleta de son panache. Derrière eux, un bruissement dans la haie les alerta. Le chien aboya. Claude eut un geste de colère. Si Paulette osait les déranger… Ce n'était pas Paulette, mais le petit gitan. Il s'approcha d'eux. Des larmes avaient tracé des sillons clairs dans son petit visage noir de crasse.

« .le viens chercher Pompon, dit-il. Vous savez où il est?

— Il n'est pas encore guéri, répondit  Claude. M. Girard l'a dit. Qu'y a-t-il? Pourquoi as-tu pleuré?

— Papa m'a battu, répondit le gamin. Il m'a donné une gifle et un coup de pied.

—  Pourquoi? demanda Annie.

— Parce que j'ai laissé le cheval, répliqua le petit garçon. Papa a dit qu'une pommade et un bandage auraient suffi. Il faut que nous partions aujourd'hui avec les autres roulottes.

— Tu ne peux pas encore reprendre ton Pompon, dit Annie. Il n'est pas en état de marcher, encore moins de traîner une roulotte. Tu ne veux pas que M. Girard aille chercher les gendarmes, n'est-ce pas? Il le ferait, tu peux en être sûr.

— Oui, mais il me faut le cheval, répéta le petit gitan. Si je retourne sans lui, papa me donnera une nouvelle correction.

— Il t'envoie parce qu'il n'ose pas venir lui-même », dit Michel indigné.

Le petit garçon renifla et passa sa manche sale sur son nez.

« Mouche-toi, ordonna Michel. Tu ne te laves jamais la figure?

— Non, répondit le petit avec une surprise sincère. Rendez-moi mon cheval. Je veux pas être battu. »

Il se mit à pleurer. Les enfants avaient pitié de lui… Il était si maigre, si petit, et il ne cessait de renifler !

« Comment t'appelles-tu? demanda Annie.

— Mario Castelli, répondit le gamin. Rendez-moi mon cheval. Je vous dis que papa le veut.

— Je vais parler à ton père, déclara François en se levant. Où est-il?

— Là-bas, dit Mario en reniflant, et il montra le champ derrière la haie.

— Je t'accompagne, François », déclara Mick.

Tous suivirent Mario. Un homme brun et renfrogné attendait à quelque distance. Ses cheveux étaient huileux et bouclés et il portait des anneaux d'or aux oreilles.

« Votre cheval ne peut pas encore marcher, dit François M. Girard a dit qu'il vous le rendrait demain ou après-demain.

— Il me le faut tout de suite, dit Castelli d'un Ion bourru. Nous partons ce soir pour la Lande.

— Pourquoi tant de hâte? demanda François. La Lande sera encore là-bas dans deux jours. »

Le gitan fronça les sourcils et garda le silence.

« Ne pouvez-vous laisser partir les autres et les rejoindre un peu plus tard? demanda Mick.

— Ecoute, papa, intervint Mario, tu n'as qu'à monter dans la roulotte de Romain. Je sais atteler Pompon. Quand il sera guéri, je vous rattraperai.

— Tu ne te perdras pas en chemin? demanda Claude.

— Oh! non, affirma Mario. Je suivrai les signes de piste.

— Ah! oui », dit Mick qui se rappelait, et il se retourna vers le bohémien silencieux. « Eh bien, qu'en dites-vous? Il me semble que Mario a une très bonne idée. M. Girard ne vous donnera pas le cheval aujourd'hui. »

Castelli grommela quelques mots dans un langage que les enfants ne comprirent pas. Puis tandis que le pauvre. Mario mettait la main devant sa figure comme pour parer une gifle, il s'éloigna à grands pas, les anneaux d'or se balançant à ses oreilles.

« Qu'a-t-il dit? demanda François.

— Il était furieux, répondit Mario en reniflant. Mais il va partir avec les autres et moi j'attendrai que Pompon soit guéri. Je ne risque rien la nuit avec Flop.

— Qui est Flop? demanda Annie.

— Mon chien, dit Mario en souriant pour la première fois. Je l'ai laissé dans la roulotte; il a l'habitude de courir après les poules et M. Girard n'aime pas ça.

— Je n'en suis pas étonné, dit François. Bon, c'est entendu. Viens demain, on verra si tu peux reprendre ton cheval.

— Je suis bien content, dit Mario en se frottant le nez. Pauvre Pompon!... Je ne voudrais pas qu'il reste boiteux. Mais papa est terrible.

— Ça se voit, dit François les yeux fixés sur la figure souffreteuse de Mario. A demain. Tu nous expliqueras les signes de piste, tu sais, les messages que vous laissez sur la route, vous autres gitans.

— C'est cela, dit Mario. Je vous montrerai aussi ma roulotte, si vous voulez.

— Pourquoi pas? répliqua Mick. Elle ne sent pas trop mauvais?

— Je ne sais pas, répondit Mario, surpris. Si vous venez jusqu'à la roulotte, Flop fera tous ses tours. C'est un petit chien très intelligent. Il a appartenu à un cirque.

— Nous emmènerons Dagobert, dit Annie en caressant Dagobert qui revenait d'une chasse au lapin. Dago, veux-tu aller voir un chien savant qui l'appelle Flop?

— Ouah! Ouah! approuva Dagobert en agitant poliment la queue.

—- Je suis content que tu acceptes, Dago, dit Michel. Viens prendre des nouvelles de Pompon demain, Mario, et nous te raccompagnerons chez toi. Mais je ne te promets pas que tu pourras reprendre ton cheval. On verra ce que dira M. Girard. »